FAKIR une mauvaise surprise

1. Vraie fausse fin de saison
2. La houle australe en apéritif
3. Lundi, une drôle de journée
4. La mauvaise surprise
5. L’Est dans le mur de l’oeil
6. Deux morts et de nombreux dégâts
7. FAKIR, fossoyeur d’alerte cyclonique

Avril 2018, ça sent la fin de saison cyclonique à La Réunion. Jamais, depuis les cyclones 44 et 45, l’île n’avait subi d’impact cyclonique direct et important au cours d’un mois d’avril. Du coup, pourquoi cela arriverait-il en 2018 ? 

Désormais les esprits sont pour beaucoup tournés vers l’hiver austral. D’autant plus que le premier épisode significatif de grande houle australe s’apprête à déferler sur La Réunion qui est en vigilance forte houle. Les premiers signes de la période hivernale sont donc déjà là!

Toutefois, en ce mercredi 18 avril 2018, nous avons une zone suspecte numérotée 93S dans le secteur d’Agalega. Pour le public lambda cette info passe totalement inaperçue. Mais pour les passionnés et les prévisionnistes cyclones de Météo-France, ce petit quelque chose fait tout de même l’objet d’un suivi.

Pour le moment, le risque de formation d’une tempête tropicale est estimé par Météo-France comme faible pour les 5 prochains jours. Mais voilà, ce signal existe et il semblerait que ce système, pour le moment complètement inoffensif, pourrait se rapprocher de la pointe Nord de Madagascar, puis descendre vers le Sud ou le Sud-Est.

Notons qu’à ce moment, le signal de cyclogenèse est loin d’être confirmé. Les modèles ne s’accordent pas sur l’avenir de 93S, ce qui laisse planer un doute sérieux sur l’évolution de ce système. On peut donc dire qu’à ce stade, personne ne sait si cela aboutira sur quelque chose ou non.

Dans la nuit du 18 au 19, la houle australe impacte La Réunion. Des submersions sont observées dans le Sud. Dans ce contexte, la zone suspecte 93S qui se trouve loin au Nord de l’île, ne fait absolument pas la une des infos.

Le samedi 21 avril la situation dans la zone de convergence intertropicale commence à interpeller. Ce n'est plus un, mais deux systèmes qui sont sous surveillance. En plus de 93S, nous avons la zone suspecte 96S qui montre des signes d’organisation dans le secteur des Chagos.

Quant à la zone suspecte 93S, elle se trouve au large Nord Nord-Est de la pointe Nord de Madagascar. À présent, les modèles s’accordent sur le scénario de trajectoire. Tous envisagent une descente vers le Sud-Est en direction des Mascareignes. Il y a également un consensus pour dire que ce système n’a pas de potentiel pour un développement significatif, ou atteindre le stade de tempête.

Par contre, même si 93S n’a pas le potentiel pour s’intensifier dangereusement, le scénario d’une dégradation des conditions météorologiques dans le secteur Réunion/Maurice en début de semaine prochaine devient une hypothèse de plus en plus crédible.

Le lundi 23 avril, les différentes images satellites et micro-ondes montrent un système qui a plutôt tendance à se renforcer. Le stade de dépression tropicale est atteint en milieu de matinée. Le CMRS de La Réunion publie sa première carte de prévision ou on découvre que le stade de tempête modérée n’est pas exclu. D’autre part, un impact direct sur l’île en journée de mardi est envisagé.

L’histoire est en train de basculer. Mais les modèles de prévision ne permettent pas aux prévisionnistes de comprendre la supercherie. En effet, il est prévu que le cisaillement d’altitude se renforce très nettement pour empêcher une intensification au-delà du stade de tempête modérée. D’ailleurs, la petite taille de cette dépression est censée la rendre particulièrement vulnérable à la moindre évolution négative de son environnement.

Autrement dit, toutes les conditions sont a priori réunies pour dire qu’il n’y a pas de risque de subir des conditions cycloniques (vents max d’au moins 150 km/h ressentis). Ce point sera déterminant pour la suite de l’épisode.

Selon l’ancienne procédure, l’absence de conditions cycloniques ne justifie pas l'activation du plan ORSEC cyclone, ce qui signifie pas d’alerte cyclonique. Néanmoins, étant donné la dégradation attendue des conditions météorologiques, des mesures sont prises. Il est annoncé une vigilance forte pluie à minuit, vent fort et forte houle mardi matin à 7h. Par ailleurs, les établissements scolaires publics et privés (écoles, collèges, lycées), crèches et garderies de la Réunion seront fermés mardi par mesure de précaution.

Tout au long de cette journée de lundi, les prévisionnistes de Météo-France se montrent rassurants sur le fait que c’est un système d’intensité modérée qui arrive droit sur l’île, tout en mettant en garde contre la dégradation attendue mardi. Selon Météo-France, l’épisode sera bref mais potentiellement intense. Les rafales pourraient atteindre 100 km/h sur les régions littorales et 130 km/h sur les hauteurs. Tandis que les cumuls pluviométriques seront de l'ordre de 400 à 500 mm sur l’ensemble de l'épisode sur une grande moitié Est et Nord-est de l'île.

À 16h, le phénomène continue de s’intensifier et le stade de tempête tropicale est estimé atteint. Le service météorologique de Madagascar baptise donc le système du nom de FAKIR. On ne le sait pas encore, mais ce nom va hanter beaucoup de monde pendant longtemps. 

Au niveau trajectoire, on ne peut pas faire plus défavorable. C’est un déplacement rapide vers le Sud-est qui va amener le système à passer sur ou très près de l’île mardi. Sur le blog, je note qu'un “impact direct de ce type en fin avril sur la Réunion ne serait pas loin d'être historique”. La suite des événements me donnera raison.

En effet, les images micro-ondes de la nuit laissent entrevoir une situation inédite pour l’île. À 19h (loc), toujours pas d’affaiblissement et à minuit la signature satellitaire ne s’est toujours pas dégradée, bien au contraire. Force est de constater que l’effet du cisaillement se fait attendre. 

Que se passe-t-il ? Pourquoi la tempête ne s'affaiblit pas ? Problème, le phénomène qui se rapproche inexorablement de l’île se renforce. En réalité, FAKIR a été comme happé par le cisaillement. Concrètement, le système est allé dans le même sens et à la même vitesse que ces vents forts d’altitude qui étaient censés le déchiqueter. Par conséquent, l’impact négatif du cisaillement sur FAKIR s’en est trouvé atténué, permettant au météore de devenir un système mature et dangereux.

Mardi matin à 4h (loc), il faut se frotter les yeux pour croire ce que l’on voit ! En regardant l’imagerie radar de Météo-France, on découvre un FAKIR toujours bien structuré et avec un œil au centre. Ce système qui ne devait pas dépasser le stade de tempête modérée est désormais une forte tempête, alors qu’il est sur le point de passer à l’abordage de La Réunion.

En ce mardi 24 avril au matin, l’île intense bascule dans la 5e dimension cyclonique. Non seulement La Réunion va subir un impact cyclonique direct alors que nous sommes à la fin du mois d’avril, mais en plus, il n’y a aucune alerte en cours. Sans compter le fait que bon nombre de réunionnaises et réunionnais ont déjà pris la route du travail. C’est une situation inédite est complétement folle qui est en train de se dérouler, tandis que FAKIR se dévoile.

EN SAVOIR PLUS

Désormais, c’est un sauve qui peut général ! Les prévisionnistes de Météo-France multiplient les interventions dans les différents médias locaux pour demander à la population de ne pas sortir. Un appel est lancé pour exhorter celles et ceux qui sont sur les routes, de se mettre immédiatement à l’abri, étant donné l’imminence de l’impact cyclonique.

Dans la foulée, une vigilance vent fort renforcée a été émise valable à compter de 7h. On s’attend à ce que ça tape fort sur l’Est en termes de rafale. Sur les réseaux sociaux et à la radio, c’est un véritable cyclone qui s’abat sur le Préfet de l’époque, Monsieur Amaury de Saint-Quentin. L’épisode BERGUITTA avait déjà été source de vives polémiques, mais là avec FAKIR, les critiques pleuvent de toute part.

Finalement, FAKIR transite à une vingtaine de kilomètres le long de la côte Est de La Réunion. C’est beaucoup trop près pour que la partie orientale de l’île évite le mur de l'œil. Ainsi, les secteurs situés entre Sainte-Suzanne et Sainte-Rose, voire même une partie du Sud-Est de l’île, vont être sévèrement secoués.

Les relevés des stations météorologiques vont même permettre de découvrir que FAKIR est en réalité un cyclone tropical au moment de frapper La Réunion. Les conditions sont clairement cycloniques sur l'Est et les rafales atteignent jusqu’à 200 km/h localement. D’ailleurs, il faut dire que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Le cyclone étant de taille extrêmement réduite, la dégradation maximale n’est ressentie que sur l’Est. Ailleurs, l'impact est limité.

On notera également l’évolution très particulière de la houle cyclonique. Alors que l'œil de FAKIR  terminait de passer au large de l’Est, la houle est arrivée brutalement sur le Nord. En quelques minutes, on passe d’une mer calme à une mer déchaînée le long de la côte Nord. Cette houle cyclonique se calmera aussi vite qu’elle s’est déchaînée.

Le cyclone circule rapidement. Avec une vitesse de déplacement pas loin d’atteindre les 40 km/h, FAKIR ne fait que passer. Mais ce passage éclair ne sera pour autant pas sans conséquence. En plus d’être un cyclone surprise, FAKIR aura généré des conditions cycloniques comme on en avait plus vu depuis un moment dans l’Est de l’île. Les dégâts y sont importants. Fort heureusement, la durée d’impact réduite aura permis de contenir le caractère destructeur de FAKIR.

Des dégâts matériels et hélas deux victimes. Un jeune couple d’une vingtaine d'années perd tragiquement la vie dans des circonstances dramatiques. Habitant le quartier de maniron à l’Étang Salé, il furent ensevelis dans leur maison par une mortelle coulée de boue.

Le réseau routier fut fortement affecté notamment dans l’Est. Le réseau électrique a également souffert. Une centaine de milliers de clients EDF se sont retrouvés sans électricité.

FAKIR aura contribué à porter le coup de grâce à l’ancien système d’alerte cyclonique, déjà mis à mal par BERGUITTA. C’était l’événement de trop, celui qui a mis en lumière les angles morts du précédent plan ORSEC cyclone, un peu trop bridé au goût de certains par le sacro saint seuil des 150 km/h.

Dès la fin d’année 2018, la nouvelle mouture du plan ORSEC est présentée au grand public. Si beaucoup on fait les gros titres sur l’ajout de l’alerte violette, le point le plus important de la réforme aura été la prise en compte du paramètre pluie. Terminé le monopole du seuil des 150 km/h. Désormais, l’alerte pourra être déclenchée y compris si de fortes précipitations sont envisagées.

LIRE PLUS : Le nouveau système d'alerte cyclonique

Le revers de ce nouveau plan, c’est le risque de multiplication de fausses alerte ou de la pré-alerte cyclonique JAUNE. DANILO aura été l’épisode le plus représentatif de ce risque de fausse alerte. Le 8 janvier 2021, ce système de faible intensité se rapproche de La Réunion. Il y a un risque de forte pluie associée et la Pré-alerte cyclonique JAUNE est donc déclenchée pour un système qui n’est même pas une tempête. Finalement, l’impact aura été insignifiant. C’est peut-être ça le syndrome post traumatique FAKIR, ne plus prendre le risque de se laisser surprendre...

PR

Ce service concerne uniquement le bassin Sud-ouest océan indien et vous avez la possibilité de vous désinscrire à tout moment via les liens de désinscription présents sur chaque mail.