David Goutx directeur interregional de météo france océan indien

Cyclone Fakir : David Goutx et le cyclone scélérat

Le 28/03/2019 à 17:32 0

Dans J'ai vécu un cyclone

La Réunion : David GOUTX, le Directeur Interrégional de Météo France océan indien raconte son expérience du cyclone tropical FAKIR. Son témoignage montre à quel point cet événement l'a marqué et interpelé dans son rapport avec la gestion de crise.

Pour le 5e épisode de "J'ai vécu un cyclone",  j'ai eu l'occasion de recueillir le témoignage exceptionnel de David GOUTX, directeur interrégional de Météo France océan indien. Le hasard a voulu qu'il me parle du cyclone tropical FAKIR, quasiment 1 an après que ce phénomène ait impacté la Réunion.

Ce formidable témoignage explique comment FAKIR aura mis en lumière les points faibles de l'ancien dispositif ORSEC. Mais il montre également toute la pression, la tension, l'inquiétude et même les doutes qu'a pu ressentir David GOUTX lors de cet épisode cyclonique hors du commun pour la Réunion.

Les timides prémices de FAKIR

David GOUTX est le directeur interrégional de Météo France océan indien depuis maintenant 4 ans. Son mandat s'est déroulé relativement sans accroc jusqu'à la difficile saison cyclonique 2017/2018. L'île de la Réunion est concernée par plusieurs phénomènes (BERGUITTA, DUMAZILE et ELIAKIM), mais également par une saison très humide et électrique.

Alors que l'on pense la saison terminée, un phénomène pointe le bout de son nez durant la dernière décade du mois d'avril 2018. Durant le weekend du 21 et du 22, un débat est lancé entre prévisionnistes sur l'avenir de ce faible système évoluant au large des côtes Nord-Est de Madagascar. Si les modèles ne suggèrent pas d'avenir exceptionnel à cet embryon de phénomène, certains au centre des cyclones de la Réunion sont dubitatifs.

Mais à ce stade, rien ne laisse présager que nous sommes en présence d'un système capable de devenir un dangereux phénomène. Les jours qui vont suivre prouveront le contraire.

Un cyclone qui se camoufle

Nous sommes le matin du lundi 23 avril 2018. La cyclogenèse s'est mise en place et nous avons désormais une dépression tropicale. Le débat du weekend a ainsi trouvé sa réponse, il semblerait bien qu'on s'achemine vers un petit quelque chose. Mais là encore, personne n'imagine que cette dépression devienne une tempête tropicale modérée, d'autant plus que les analyses et les simulations ne suggèrent toujours rien de significatif.

David GOUTX raconte qu'en réalité, toute cette journée de lundi nous avons "un cyclone qui se camoufle". Les satellites défilants ratent à chaque fois le petit coeur du système, ce qui ne permet pas d'avoir une idée réelle de sa structure interne et les modèles ne réagissent toujours pas, mis à part ceux qui d'habitude sont trop réactifs. La tendance en ce début de journée est que le système ne tienne pas le coup, en raison de conditions environnementales défavorables. Mais, non seulement il va tenir le coup, mais en plus il se renforcera.

Le système est baptisé dans le courant de la matinée du nom de FAKIR, changement d'ambiance à la station du Chaudron! On est passé d'un faible phénomène qui ne présentait pas de potentiel important de développement à une tempête tropicale. "On s'est fait arnaqué", voilà comment David GOUTX exprime le sentiment du CMRS au moment où FAKIR est baptisé. Désormais, il est identifié que l'île serait affectée par des conditions météorologiques fortement dégradées à partir du lundi soir et durant la journée du mardi.

Toutefois, les derniers indices n'indiquent toujours pas que l'on aille au-delà du stade de tempête tropicale modérée. L'état des prévisions à ce moment conduit donc logiquement à envisager une gestion de crise via le dispositif vigilance météorologique forte pluie et vent fort pour mardi.

Le scénario du pire

Lundi soir vers 20h, on constate que FAKIR ne s'est toujours pas disloqué. À partir de là le doute s'installe. Comment imaginer que ce système de petite taille et donc très fragile puisse résister à des conditions en altitude particulièrement hostiles. L'hypothèse d'un potentiel scénario du pire commence à émerger. Cependant, en fonction des données disponibles à 21h, on semble s'acheminer vers un épisode qui resterait géré par la vigilance météorologique.

Le mardi à 3h du matin, toujours pas de disloquation. Un briefing est organisé à 4h du matin avec la préfecture pour alerter du fait que l'improbable scénario du pire était en train de se réaliser. À ce moment, le système est analysé comme forte tempête tropicale. Les données disponibles ne permettaient pas à cet instant de comprendre que nous étions face à un cyclone et laissaient donc toujours penser que la crise pouvait être gérée via le dispositif vigilance météorologique.

David GOUTX précise qu'on sait désormais que ça risque d'être juste dans les hauts de l'île au niveau des rafales, que l'épisode sera très rapide et que ce sera un gros uppercut. Lorsque le briefing est terminé vers 5h du matin, vient le difficile moment de l'attente. Le directeur de Météo France océan indien utilise l'analogie de la boule de bowling pour décrire ce qu'il ressentira à partir de ce moment. Lorsque la boule est lancée, il n'y a plus rien à faire qu'à attendre et voir si celle-ci touchera où évitera les quilles. Entre le moment où la boule est lancée et l'impact, le temps est comme suspendu.

Durant cette attente qui paraît infinie, le directeur retient son souffle et se pose mille questions. Que va-t-il arriver, où va frapper FAKIR, la population est-elle à l'abri...? Mais en réalité, David GOUTX rappelle que dans cette histoire, ils sont aussi les quilles et de préciser qu'ils ne sont pas là uniquement pour faire de bonnes ou de mauvaises prévisions, mais qu'ils devront aussi rendre des comptes. Ce moment d'attente que le directeur qualifie de très douloureux, il le revivra à plusieurs reprises par la pensée tout au long de l'année, comme une sorte de hantise.

Le terrible moment du bilan

FAKIR se révèle au moment de frapper l'île! L'observation des dégâts permet de constater que le coup fut violent pour les régions Est et Sud-Est. Les données relevées montrent que ce système fut bel et bien un cyclone au moment de son passage au plus près des côtes Est de la Réunion. 

Le bilan tombe minute après minute. C'est un nouveau moment pénible pour David GOUTX, savoir si ce phénomène a tué. Cette situation le replonge en 2010, à l'époque de la gestion de la tempête XYNTHIA qui avait ravagé l'Ouest de la France. Il se souvient du moment du terrible décompte macabre. Le directeur raconte que cet instant terriblement douloureux, il le revit au moment du bilan de FAKIR. 

Au final, on déplore 2 morts, un jeune couple enseveli par une coulée de boue à leur domicile qui malheureusement était construite dans une zone à risque. On ressent de l'émotion dans la voix de David GOUTX lorsqu'il évoque ce drame et de rappeler que "si il y a bien une règle en prévention des risques qui est forte en France, c'est qu'on devrait être en sécurité chez soi".

Malgré ces 2 victimes, la Réunion s'en sort bien. Le directeur craignait que le bilan humain soit plus lourd, chose qu'il aurait très mal vécu.

Le cyclone scélérat

Le directeur de Météo France océan indien est lucide sur les raisons qui ont conduit à la gestion poussive de FAKIR. Pour l'expliquer, il nous renvoie à une thèse réalisée par François Dedieu sur le "risque scélérat". FAKIR est en quelque sorte l'exemple tropical de ce risque scélérat, défini suite à l'analyse des tempêtes qui avaient balayé la France en 1999. En résumé, ce phénomène donnait l'impression d'être gérable, tout en ne l'étant pas du tout.

FAKIR est un sytème qui aura été une arnaque à chaque étape selon ses propos. La configuration du système et le plan technique ont fait que les prises de décision seront in fine critiquables. Pour David GOUTX, le cyclone représentait l'angle mort de l'ancien plan ORSEC, le cas typique qui était mal géré par le dispositif de l'époque. 

Les leçons de FAKIR

L'épisode FAKIR a très clairement marqué David GOUTX. Ce système l'a interpelé sur son rapport vis à vis de la gestion de crise. Le cyclone l'a amené à une profonde réflexion personnelle. Qu'aurait-il pu faire de mieux, à quel moment aurait-il du comprendre le caractère scélérat de FAKIR? Lui qui était au fait de cette thèse de François Dedieu, avoue se mordre les doigts de ne pas avoir saisi à temps que FAKIR était un cyclone scélérat.

Finalement, le directeur se demande s'il n'aurait pas fallu être plus instinctif et passer outre les plans en place pour le "gérer au tripes", ce qui n'est jamais une bonne chose tempère-t-il. D'ailleurs, il rappelle que "la norme en gestion du risque est que l'intuition n'est jamais bonne conseillère" et d'appuyer que "si il existe des plans, c'est pour garder la tête froide pour prendre des décisions rationnelles". 

Des enseignements ont été tirés de FAKIR. La première qui est d'ordre collective, est la révision du plan ORSEC. Pour David GOUTX, ecela montre que les décideurs sont capables d'évoluer et d'écouter la demande des réunionnais qui souhaitaient une évolution du système d'alerte. Des choses un peu plus discrètes ont également été intégrées au dispositif, pour permettre de prendre certaines décisions plus facilement, "pour être sûr de ne pas louper la bonne décision".

Enfin, en conclusion de son témoignage, le Directeur de Météo France océan indien admet que malgré tous les plans, il faut sans doute parfois laisser parler un peu l'intuition.

PR

Je tiens à remercier M. David GOUTX pour ce formidable et honnête témoignage, qui montre l'envers du décors et met en évidence toutes les difficultés que peuvent éprouver celles et ceux qui ont la lourde responsabilité de prendre "LA" décision.

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MON TEMOIGNAGE

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